« Avant on parlait, Monsieur ! »

Ma cliente, une vieille dame, fait ses courses et s’avance vers ma caisse.

“ Vous avez un service de livraison ? me demande-t-elle.

– Oui, Madame, en passant sur le site internet…

– Ah non alors laissez tomber ! me dit-elle abruptement, je n’ai pas d’ordinateur donc je n’ai pas internet. Je pensais le faire comme ça en vous parlant !

– Je comprends Madame, mais malheureusement, nous ne le faisons pas.

– C’est trop compliqué. Vous savez, avant on parlait Monsieur !

– Je sais bien Madame, mais j’ai des centaines voire des milliers de clients, alors parler avec tout le monde… Il y a un temps pour tout ” lui répondis-je un peu agacé.

Je suis bien au courant des travers de mon époque, mais je n’aime pas du tout que l’on idéalise le passé. Déjà parce qu’il est passé, il est donc quand même sacrément démodé, et ensuite parce que je ne suis pas sûr qu’il était bien plus brillant que le présent.

“C’était mieux avant !” Voilà la fameuse réplique sous-entendue dans la remarque de ma cliente. Mieux quand ? Quand on aurait pu serrer la main de Franco, d’Hitler ou de Mussolini ? Quand c’était la guerre ? La dictature ? L’holocauste ? Quand les homos avaient “la peste rose” ? Quand les femmes n’avaient pas le droit de voter ? Ou quand on mourrait en masse d’une simple grippe ?

Peut-être que c’était mieux quand vous étiez jeune ? Belle et en pleine santé ? Amoureuse ? Entourée d’amis ? De votre famille ? Dans ce cas, oui, je comprends, c’était mieux avant, ma pauvre petite dame et vous avez toute ma tendresse.

Je vois bien dans votre phrase le besoin de lien social, la nostalgie, voire la tristesse de voir votre monde disparaître, votre décalage avec la réalité qui se faire grandissant. La peur d’être remplacée ou oubliée. Nous sommes jeunes donc nous ne parlons pas ? Quelle méconnaissance !

Et quelle tristesse de voir cette personne qui a vécu tellement de choses, qui a sûrement tant à nous transmettre, saboter cette richesse parce qu’elle a décidé que nous (« les jeunes ») ne sommes pas à la hauteur de son éducation ni de ses valeurs.

Partagez votre richesse intérieure au lieu de nous en vouloir d’avoir du temps ! Apprenez-nous à mettre ce dernier à profit plutôt que de nous reprocher de le gâcher. Aidez-nous à ne pas avoir les même regrets que vous plutôt que de partir du principe que nous ferons les mêmes bourdes que vous. En échange nous avons de la fraîcheur, de l’énergie et de l’enthousiasme à vous donner. Nous avons aussi tellement de questions à vous poser !

Nous ne vivons pas forcément dans l’époque la plus merveilleuse de l’histoire, mais y en a-t-il eu au moins une ?

Alors ok, avant, 15 euros c’était 100 balles ! Ok, avant, Kim Jong-Un ou Donald Trump n’étaient pas nés et on parlait à son épicier pour se faire livrer chez soi.

Mais avant, il n’ y avait pas Spotify, ni Netflix et je n’avais pas encore rencontré ma femme. Donc bon… Je suis bien là où je suis.

En attendant une autre humeur, prenez soin de vos vieux !

Inspirations :

“C’était mieux avant” de Michel Serres

“C’était mieux avant: 500 bonnes raisons de regretter d’avoir plus de 30 ans. Ou pas.”de Stéphane Ribeiro

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